

J'ai d'abord à choisir un second prénom qui soit français, j'ai sélectionné David, ça fait juif et je suis musulman, mais je m'en fiche ! C'est un véritable bonheur de pouvoir jouer avec les codes, j'ai aussi tatoué Peace and Love en hébreu sur l'épaule gauche. Personne ici ne m'observe ni ne me juge ; certaines personnes sont croyantes, beaucoup d'autres sont athées, personne ni aucune autorité ne te forcera à aller dans un sens. En France vous avez imaginé la plus belle invention du monde : la laïcité ! Parfois je vais prier à l'église, à d'autres moments au temple ou à la mosquée, cela n'a aucune importance. Je crois en un dieu commun.

Mais j'ai commencé à déchanter au bout de la deuxième année en découvrant l'homophobie russe. J'ai vu des amis trans se faire agresser sans raison à Saint-Petersbourg : si on t'agresse, les flics ne prennent pas ta défense, ils détournent le regard, s'en vont. J'avais à cette époque une bonne relation avec une personne que je fréquentais au quotidien. Un jour, il m'a agressé, juste parce qu'il avait découvert que j'étais gay. Au moment où je lui tendais la main pour le saluer, il m'a envoyé son poing dans la figure.
C'était pendant le printemps de 2015 et je ne voyais maintenant plus d'avenir en Russie, malgré mon amour pour ce pays dont j'admire la culture et l’histoire... et puis je commençais à déconner, à mal tourner.


J'aimerais obtenir la nationalité française car je me sens totalement imprégné par la culture française. Tous mes amis sont nés ici, j'ai grandi ici avec eux et, si la guerre éclate, je défendrais ce pays que je considère être le mien."

Je suis restée deux jours dehors puis je suis parvenue à me rendre à Bugoloobi où j'ai rejoint la seule personne qui pouvait encore m'aider : ma tante. Malgré la volonté du reste de ma famille de couper les ponts à jamais, elle m'a acceptée sans connaître la raison de ma séparation familiale, en fixant cependant un certain nombre de règles : elle me rescolariserait pendant deux ans puis je tiendrai la caisse dans la boutique qu'elle dirigeait. Pendant mes années d'étude j'ai rencontré une fille dont je refusais fréquemment les avances appuyées ; j'étais traumatisée par mon passé et j'aspirais à la quiétude. Toutefois, après plusieurs mois, je l'ai un jour acceptée. C'est ainsi qu'en cachette a débuté ma seconde relation amoureuse.
A la fin de mes études nous étions en 2000, je vivais une vie paisible mais ma tante s'inquiétait de plus en plus de ne pas me voir mariée. Dans ma culture, il est impensable qu'une femme ne le soit pas et le mariage a un intérêt économique pour les familles qui recueillent le prix de la dot de la mariée. A la même époque elle a donné naissance à une première fille, puis à une seconde en 2004. Ma tante était atteinte du sida et, voyant sa santé décliner, je lui ai avoué sur son lit de mort la raison de mon bannissement : j'étais homosexuelle. Elle l'a accepté et m'a légué ses filles pour lesquelles je suis devenue une seconde mère. Elle est décédée en 2008. Ma tante était la personne à laquelle je tenais le plus, or malgré mon immense douleur, ma vie s'est poursuivie paisiblement ; j'avais un travail, une copine, des petites filles que j'aimais et dont je prenais grand soin.
La même année mon père a voulu me retrouver car il voulait s'assurer que je me marierai bientôt. Il s'est rendu chez ma tante accompagné d'un ami. Ne m'y trouvant pas, tous deux m'ont cherchée dans les environs et se sont rendus dans un bar tout proche, où je me trouvais avec ma compagne. Nous étions tranquillement installées, l'humeur légère, nous embrassant inconsciemment quand mon père et son ami sont entrés ; fou de rage, il s'est jeté sur moi. Il m'a frappée extrêmement violemment et, quand je suis parvenue à m'enfuir, a hurlé aux passants de m'arrêter. Ces derniers pensant que j'étais une voleuse lui ont obéi et m'ont roué de coups. Heureusement, la police est intervenue à temps et j'ai été emmenée à l’hôpital. J'y ai trouvé du réconfort auprès d'une infirmière qui a fait en sorte qu'une fois rétablie je puisse sortir discrètement, avec de nouveaux habits et la possibilité de contacter mon amie. Ma compagne s'est arrangée pour que je sois mise à l'abri dans une chambre ; je ne voyais personne à part un homme qui venait fréquemment m'apporter un peu d'eau et de nourriture. Au bout d'une semaine on est venu me chercher pour me transférer chez le frère de ma copine. J'y suis restée cinq mois dans une situation inextricable : je n'avais plus de lieu sûr où vivre, plus de travail, je m'étais échappée de l’hôpital, mon père était à ma recherche.

Moi je cumule, je suis chrétien, homo et je suis séropositif. Avec cette maladie, il est impossible de se soigner en Egypte, les médecins refusent de te toucher et les hôpitaux ne te reçoivent pas. Il fallait vraiment que je m'en aille.


Je suis en France car mon homosexualité ne m'a valu que des problèmes dans mon pays. Un soir, j'avais rendez-vous chez une homme avec lequel je m'entendais bien mais je ne le connaissais pas encore tout à fait. Je pensais que nous ferions davantage connaissance et que nous passerions une bonne soirée. Mais quand je suis entré, il a immédiatement verrouillé la porte derrière moi et cinq inconnus sont apparus par une autre. J'ai été torturé toute la nuit, ils avaient prévu de me tuer. J'ai réussi à m'échapper et à trouver un policier auquel j'ai tout raconté. Je lui ai montré l'appartement, donné le numéro de l'étage, de la porte ; j'étais couvert de blessures mais il a considéré que j'étais bourré ou drogué. Finalement il m'a emmené au poste pour qu'enfin je dépose plainte. J'ai attendu seul six heures durant, sans aucun soin.

Cela faisait déjà quelques temps que nous avions une relation tenue secrète : pour tout le monde, nous n'étions que des copines et, mon mari étant souvent en déplacement professionnel, nous nous aménagions fréquemment des moments pour nous retrouver. Mais ce jour-là il est rentré à l'improviste. En nous découvrant, il est entré dans une fureur effroyable ; selon lui, j'avais ruiné sa vie entière et l'avais couvert de honte. Il s'est empressé de répandre la « nouvelle » auprès de nos voisins et de ma famille. Dorénavant, tout le monde me haïssait, j'étais humiliée, j'allais perdre mon travail et certainement ma vie ; j'étais en danger. Pendant une semaine, dans l'attente de l'arrivée de la police de la charia, il m'a séquestrée. Je me suis fait battre et lacérer de coups de couteau dont je porte encore les marques. Le 23 avril 2016 j'ai appris qu'Amina, ma chérie, avait été assassinée. Si je n'avais pas brisé une fenêtre pour m'échapper à temps, j'aurais été déshabillée et lapidée en place publique ; telle est la loi.
Je n'avais aucun endroit où aller et il était hors de question de retourner dans ma famille, mon père devait d'ailleurs déjà être à ma poursuite pour me bannir et me remettre à la police. Au Nigeria tout le monde surveille tout le monde, les voisins ont toujours un regard pour vérifier avec qui tu es, ce que tu fais, comment tu t'habilles. Il suffit d'une rumeur pour ne plus être en sécurité nulle part ; alors tu ne peux plus que fuir, fuir le plus loin possible.