22 janvier 2020, la ville de Wuhan, en Chine, est placée en quarantaine suite à la découverte d'un nouveau coronavirus inconnu chez l'homme jusqu'alors, dont l'origine reste méconnue. Extrêmement contagieux, il dégénère parfois en pneumonie meurtrière et surcharge les services de santé au personnel bientôt terrassé par l'épuisement et la mort. Semaine après semaine, les villes se barricadent, les pays se ferment, le Japon, la Corée du Sud, tandis que les courbes médiatisées des contaminés, des hospitalisés et des morts augmentent de manière exponentielle. Les habitants doivent présenter aux autorités des autorisations de circuler, il est interdit de se rencontrer, de se croiser, de se toucher, flâner est un délit ; les commerces ferment, toutes les activités jugées non essentielles sont dorénavant closes et la panique menace l'ordre du monde.
Le virus se répand. D'Asie, il surgit dans une Europe trop sûre d'elle et mal préparée. Ici aussi l'humain disparaît peu à peu du paysage, cantonné à son foyer d'où il ne sort que furtivement aux horaires tolérés, masqué, pour acquérir le strict nécessaire à poursuivre une vie mise en quarantaine. Ici aussi, le monde virtuel se fait espace de contacts et d'échanges, se substituant au monde physique...
    En l’espace de deux mois de confinement, les visages ont progressivement disparu de l'espace physique, soit qu’ils ont été invisibilisés sous les masques, soit qu’ils se sont évanouis par l’interdiction de leur présence. Le monde virtuel promet dès lors de remplacer les interactions perdues et désormais condamnées ; ainsi, la relation de chair que l’on espère conserver grâce à l’écran, est constituée de flux numériques par lesquels s’ébauche le rapport trouble que nous aurons peut-être, bientôt, face à des intelligences artificielles de plus en plus développées, capables de nous singer d’une manière confondante.
Nous nous entraînons dès lors, aujourd’hui, au monde post-humain ; nous faisons semblant de croire en cette image numérique, nous habituant même à cet être synthétique, à ce proche, dont le corps se découpe aux frontières de l’objet. Sa conversation est pourtant devenue maladroite par l’inconstance du débit internet, son visage organisé en grandes masses colorées de pixels est déformé par la caméra, ses mouvements sont flous et saccadés, son existence, éphémère, est marquée par de fréquentes disparitions du cadre et s’évanouira tout à fait quand la conversation s’achèvera, ne laissant aucune marque de son passage, sinon un écran vide de toute activité. Mais cet objet, surface embryonnaire, mûrira le jour où il nous correspondra anatomiquement ; ce n’est qu’une question formelle, une question de plastique, de métal, de vis et de boulons pour qu’il se mue en organisme.
Que reste-t-il, à cet instant, du monde réel, sinon une image où se dissimule et se retire toute présence humaine ? Une image, une rêverie ou une réminiscence puisqu’il n’est plus possible d’y agir mais de la regarder seulement, évoluer doucement, et de s’y rappeler notre présence ; il s’agit dorénavant d’un territoire animé par sa propre force dans l’attente de ce qu’en fera l’humain du « jour d’après », une image en attente d’incarnation, fantasmée à travers les fenêtres des humains confinés. Seul le temps demeure, le rythme des astres, des jours et des nuits, du Soleil et de son éclat filtré par les stores des carreaux, affrontant l’éternité du monde virtuel.
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